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Plateau de jeu, pavé en bois magenta, morceau de carerlage cassée, calque, dés, cadres en bois, crayon sur papier, dispositif de capture sonore.

Dimensions variables.

Partition

 

Je suis de mon occident.

Je n’ai rien vu de Fukushima. Sinon des images, des sons, des agencements médiatiques venus habiter la sonorité \fukushima.

 

Pour nous, occidentaux, Fukushima n’est plus un lieu ni un événement. C’est une sonorité-réceptacle où se sont déposées angoisses, fantasmes et prémonitions d’une société égarée sur les voies de la mondialisation énergétique et nucléaire.

 

*\Fukushima* est allégorie, mythe moderne, précipité d’un inconscient collectif.

Fusion et fission agrégées à catastrophe et cataclysme ont fait de *\fukushima* le signe d’une apocalypse hypermoderne : un Big Crunch symbolique, une cosmogonie inversée.

 

Quelque chose qui ressemble à un jeu de plateau repose sur une table. Il est fait main : une boîte, un plateau, deux dés noirs et magenta, quatre feuilles transparentes. On devine sur le contenant des images de kamishibaï, ces images qu’on fait défiler dans un théâtre ambulant de bois au Japon. Sur le plateau, une carte sommaire du pays. Cinq lignes qui évoquent une portée. À l’arrière, ou sur un côté, projeté dans l’espace : un dessin animé saccadé. On y perçoit les variations de vitesse d’un personnage qui respire. Son inspiration et son expiration apparaissent sous forme d’idéogrammes qui surgissent et disparaissent au rythme de son souffle.

Par empathie, nous calons notre respiration sur la sienne. Un raccord à sa poitrine. Une communion.

 

Au sol, disposés en ligne droite, huit petits cadres blancs, eux aussi peuplés d’images empruntées au kamishibaï. Sous une cloche de verre, un morceau de tissu aux motifs japonais. Ce n’est pas un accessoire. C’est un tissu chargé de radioactivité.

 

L’installation peut demeurer ainsi. Suspendue.

 

Parfois deux interprètes viennent jouer au jeu dont nous devinons peu à peu les règles. Comme dans tout rituel, l’essentiel est d’être là — non de comprendre.

 

Rien n’est caché derrière ces signes.

 

Le premier interprète n’est pas costumé. Pas davantage le second. Aucun attribut du musicien. Ils sont corps ordinaires, comme nous, ni acteurs ni musiciens : juste des présences parmi d’autres.

Le premier s’approche de la table. Il lance les deux dés. Leur verdict oriente le déplacement des calques. L’un indique l’angle de rotation, l’autre le sens. Ces dés sont joueurs, faisant surgir parfois des signes imprévus.

 

Nous respirons toujours selon notre propre idiorythmie, mais en sympathie totale avec ce personnage qui peine à inspirer ses idéogrammes.

Jusqu’ici, une boucle sonore entêtante occupait l’espace. Elle se déploie maintenant.

La manipulation du plateau est captée, transformée en temps réel. Comme une mécanique mal huilée. Une phrase bégayante.

 

Le second interprète s’approche avec son aérophone. Car chaque déplacement de calque fait naître des notes sur la portée évoquée par le plateau. Les taches magenta — relevé initial des centrales nucléaires japonaises — deviennent des notes. Leur taille, leur position relative sur les lignes, sont autant de libertés offertes à l’instrumentiste : nuances, micro-intervalles, rythmes suggérés.

 

Parfois un son sourd interrompt le processus. Alors l’aérophoniste, ou un autre performeur, cale son souffle sur celui du respirant animé, qui n’en finit pas d’ingérer ses idéogrammes. Ce texte illisible, qui traverse la performance, n’est autre que la définition française de « Fukushima » sur Wikipédia — mais rendue illisible par une police pseudo-japonaise. Un clou supplémentaire enfoncé dans l’exotisme fautif. Le respirant animé, comme le performeur, ingère cette définition falsifiée : agencement médiatique, fantasmatique. Sur la surface du texte surgit une voyelle, colorant le souffle, affirmant la corporalité du son — au-delà du symbole.

 

Pendant ce temps, le premier interprète renverse l’un des cadres disposés au sol. Références cosmogoniques, emprunts partagés à la culture japonaise.

 

Puis il revient au plateau. Tout recommence. Le jeu s’achève lorsque tous les cadres sont renversés.

 

Once Upon a Time, Fukushima — partition suspendue pour aérophone et manipulateur — se propose d’inverser la narratologie liée à \fukushima. Non pas dénonciation militante, ni reportage, mais démonstration d’un désir : maintenir une connexion avec ces lieux et ces populations condamnées. Activer un moment symbolique. Rendre à *\fukushima* ses forces positives et centrifuges.

Lutter symboliquement contre les forces mortifères. Ouvrir une cosmogonie nouvelle, en expansion.

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